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Interview de Thibault Bissirier du 06.11.2023 pour le magasine THE STEIDZ 

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easy lucky solus 


 

Traversée par le rationalisme, la modernité a cherché à banaliser les technologies pour qu’elles soient neutres et objectives. Pourtant, la société actuelle avec ses objets connectés et intelligents influençant nos perceptions et nos modes de communication au quotidien, nous prouve que la technologie se retrouve “chargée de mysticisme”. “Le cyborg y est un être spirituel, la machine est hantée, le cyberespace redouble le monde” et pendant ce temps, l’humain travaille “à construire des colonies spatiales qui arracheront les plus chanceux à une terre en perdition”, rappelle la philosophe Manuela de Barros. 

La machine technologique s’affirme indéniablement comme un “médium de dévoilement” qui réenchante notre monde en nourrissant nos imaginaires présents et surtout futurs. Même face à sa présence obsessionnelle, souvent polluante, dans chaque recoin du globe, une bonne partie de la communauté scientifique s’en remet toujours aux pouvoirs salvateurs de la géo-ingénierie.

 

C'est ce champ relationnel ambigu, où la croyance magique et la technique s’entremêlent et se façonnent l’une l’autre, qu’investit Léa de Cacqueray avec sa pratique de l’installation et de la sculpture. En créant des hybridations étonnantes qui mélangent certaines formes de rituels divinatoires anciens, tels que l'oracle ou l'hydromancie, avec des formes issues de la robotique ou de la sphère médicale, l’artiste conçoit dès œuvres à l'esthétique high-tech dont la nature se veut cryptique et indéfinissable, propice à une spéculation fictionnelle. Dotées de capacités interactives, ses œuvres intègrent des éléments textuels et sonores ainsi que le mouvement mécanique afin de susciter des émotions indéterminées qui redessinent notre conception du vivant et de l’inanimé. Flirtant avec l’univers de la SF, les œuvres de LdC interrogent nos rituels et croyances technologiques : entre pouvoir d’aliénation et de libération à s’extraire du réel, comment vivons-nous ces envoûtements qui transportent nos imaginaires toujours plus loin ?

Texte de Licia Demuro

easy lucky solus

In her works, Léa de Cacqueray cultivates ambiguity and indeterminacy as poetic tools to envision the future. Her sculptures and installations result from hybridizations of forms borrowed from ancient divinatory rituals, such as oracles and hydromancy, as well as the realms of robotics and the medical sphere. Being cryptic and indefinable, they serve as catalysts for both irrational beliefs and our famous «FOMO» – this recent «fear of missing out», fueled by our hyperconnected environment. At the core of the artist’s approach lies a questioning of modern rationalism and its attempts to normalize technologies to be neutral and objective. Far from considering technological apparatus as innocuous objects, Léa de Cacqueray embraces the mysticism within them. She apprehends it as a «medium of revelation» that allows us to cast a new gaze upon our world while altering our present and, more importantly, our future imaginaries. Laden with desire, technologies seduce the unconscious through the elegance of their chrome-plated

surfaces, all the while enabling a liberation from the constraints of reality, yet paradoxically, imprisoning humanity in a virtuality with obscure powers. Artist explores this ambiguous relational field, where magical belief and technology intertwine and shape each other. Endowed with interactive capabilities, her works incorporate textual and sonic elements as well as mechanical movement to evoke indeterminate emotions that redefine our conception of the living and the inanimate. Flirting with the realm of science fiction, Léa de Cacqueray questions our technological rituals and beliefs: between the power of alienation and liberation, how do we experience these enchantments that push our humanity ever further?

 

French text by Licia demuro

PRIX DAUPHINE POUR L'ART CONTEMPORAIN

 

Des formes de vie programmées

 

Suspendu au plafond, un exosquelette se meut lentement, se repliant légèrement sur lui-même dans un mouvement qui évoque une respiration âpre. Au rythme du bruit sourd des moteurs qui l’activent, il donne à voir toutes ses nuances chromées, rutilantes comme la carrosserie d’une voiture tunée ou la carapace d’un scarabée aux reflets irisés. Enserré dans une cage thoracique métallique aux côtes acérées, animé par des moteurs aux allures de bras robotiques – rappelant ceux utilisés dans les médecines de pointe – ou d’isolateurs de lignes haute-tension, il se fait entité chimérique. ANIMA est une machine hybride née de la rencontre entre le monde du vivant et la technologie, affichant les stigmates d’un transhumanisme latent.


Dans sa pratique, Léa de Cacqueray crée des machines dans lesquelles elle instille une énergie vitale quasi cynique. Assemblages de matériaux froids (acier, verre, LED, PVC, résine) travaillés de manière brute, elles évoquent des objets usinés et industriels mais empruntent souvent dans leur forme aux objets de culte religieux. A l’instar des nouvelles doctrines spirituelles nées dans la Silicon Valley, dans le sillage du transhumanisme notamment, le rapport de l’Homme aux nouvelles technologies s’apparente à un nouveau type de croyance religieuse, dans lequel l’artiste voit de nombreux parallèles avec la dévotion catholique. De ses œuvres, aux allures dystopiques et nourries de récits d’anticipation, suinte la fascination – ce mélange ambivalent si particulier d’attirance et de répulsion – exercée par les dernières technologies sur l’être humain. Voire l’aliénation, comme le répète en boucle l’œuvre éponyme de l’artiste.


Le travail de Léa de Cacqueray laisse peu de place au silence. Il y règne toujours une agitation, même minime, opérée par des flux lents. Moteurs, programmes informatiques et écrans LED insufflent aux sculptures, nées sous ses mains, une forme de vie, ou tout du moins de mouvement, quasi autonome. Le mouvement qui y revient le plus souvent est la rotation, comme celle des textes des œuvres Oracle, Reliquae et Aliénation où défilent des textes en LED sur un écran noir. Monolithe d’acier traversé de ce bandeau noir lumineux, Oracle mêle des extraits de textes de science-fiction évoquant des civilisations futuristes à des descriptions de paysages issues de l’Ancien Testament et à un écrit de l’artiste qui dépeint l’errance d’un personnage dans un monde dont il ne sait s’il est réel ou virtuel. Dans Reliquae, œuvre auréolée de cette frise noire incandescente, Georges Bataille rencontre des écrits traitant des relations sociales et amoureuses. Grâce à un algorithme crée par l’artiste avec l’aide d’un ingénieur, les mots des textes originels se mélangent, s’entrelacent les uns après les autres pour former dans chacune des œuvres un nouveau récit, évolutif et aléatoire à chaque activation, sans début, ni fin, troublant et parfois déconcertant.


Les termes « je » et « moi » reviennent souvent dans les textes qui animent les œuvres de Léa de Cacqueray. Le narrateur nous fait part de ses sentiments et – sans son, uniquement par l’écriture informatique – nous dit entendre, évoque la lumière, la sensation de matériaux comme le métal et parle d’érotisme. Entité robotique et artificielle, il n’a pas d’incarnation tangible. Sa parole semble destinée au visiteur mais aucune interaction n’est possible. Cette parole, muette, impersonnelle et émancipée de son interlocuteur, ne fait que se parler à elle-même. Les textes des œuvres de l’artiste créent un espace mental. Les phrases s’enchainent comme dans le soliloque de L’Innommable de Beckett, comme dans un esprit qui tourne en boucle et ressasse. Les machines de l’artiste parlent mais ne pensent pas, se meuvent mais ne ressentent pas. De ce brouhaha nait une vision polymorphe du rapport ambigu et nébuleux de l’humain à la machine, aux nouvelles technologies et au virtuel.

Romy Hammond

Mai 2022

WIRES OF THE FUTUR

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photo© Elliott Cause | Nano ville

Cyber Systémiques


Le travail,
la pensée, l'émotion et la production de Léa de Cacqueray se situent à la croisée de plusieurs chemins: celui du réel, celui de la science-fiction, celui du numérique, celui des cyberespaces, celui de la machine, celui de la fiction, celui du mouvement.
Autant de fils et d'axes qu'elle tresse et noue ensemble pour faire surgir des installations, des vidéos et des formes composites,  comme en écho à l'affirmation de Tristan Tzara, j’aime le passé pour sa nouveauté.

Avec précision et méthode,
avec rigueur et souplesse, elle relie la dimension du sensible à celle de la pensée. Ses matériaux -peinture, métal, moteurs, tubes PVC, plastique, bois, acier, câbles, aluminium, haut-parleurs, résine, LED, algorithmes, pour n'en citer que quelques-uns- traversent la diversité du monde et des mondes...
Ici, aujourd'hui, dans Wires of the Future, elle présente ses anticipations, matérialisées par des formes d'hybridations spatiales, par des interformes, au croisement de plusieurs règnes et de plusieurs univers.

De fascination
en fascination, de curiosité en curiosité, de recherche en recherche, l’artiste traverse de nombreux territoires qui relient et synchronisent des temporalités qui, au premier regard, semblent hétérogènes les unes des autres mais qui, dans le deuxième temps, font sens et s’éclairent mutuellement.

En résonance
avec Ray Kurzweil et avec Eliezer Yudkowsky, génial créateur du concept d'intelligence artificielle amicale,  installant ses formes, ses sculptures-machines proactives et ses mécaniques intelligentes, l'artiste dialogue avec des spatio-temporalités de l'hier qui produisent le futur.

Alors,
dans le dessein audacieux d’emboîter des formes archaïques à des structures futuristes, dans ce projet  téméraire d’accoupler des formes premières à des structures anticipatrices, l’artiste se place dans la position d’une presque démiurge.                                

Alors, en pénétrant l’espace de l’exposition, je plonge dans l’univers de Léa de Cacqueray et, aussitôt, des images fondatrices me traversent: celle du Golem du Maharal de Prague, celle du Voyage à travers l’impossible, celle de Locus Solus, de World on Wire, ou encore des images mythologiques et celles de la Bible hébraïque et de la Bible chrétienne.

Mais dans le même temps,
une multitude d’images de réalités irréelles d’un présent pourtant déjà futur m’assiègent… et je vois, dans les installations de l’artiste, la kyrielle des rites New Age, ceux de la science-fiction, des cyber-spiritualités, ceux des mythes et des récits ou encore d’évènements du futur, en jonction d’avec ce qui les précède.

D’Hecta à Osculum,
d’Astra au Triptyque en passant par Alienation, c’est la question de l’IA que pose l’artiste. Avec ses dispositifs créant leur propre mouvement, ses moteurs animés, ses Machines célibataires et ses formes hybrides mimétiques de l’humain, son travail d’installation, de peinture ou de vidéo se situe dans une absolue ambivalence entre fascination et appréhension. Et c’est au point de jonction-disjonction entre le réel et l’imaginaire, entre le tangible et l’intangible, que sa création fonctionne.

Alors,
en variations infinies, à partir d’assemblages de plusieurs dimensions, de plusieurs matières, de plusieurs temps, de plusieurs sensibilités Léa de Cacqueray nous regarde et nous interpelle: en pensée et en émotion.
Pour réenchanter le monde.


Gaya Goldcymer
Janvier 2022



 

DNSAP

 

La vaste salle lumineuse qui accueillait l’installation de diplôme de Léa de Cacqueray avait tout d’une cathédrale futuriste, où célébrants et croyants auraient été remplacés par une armada de machines célibataires, chacune officiant de manière solitaire sur un fond sonore où les voix mélodieuses de chœurs d’église s’hybridaient avec des bruits industriels. Au sous-sol, dans la crypte, la vidéo La perte des sens introduisait cet univers artificiel où les références bibliques se mêlent souvent aux citations de romans de science-fiction. Les corps s’évanouissent au profit de sculptures robotiques modelées par des algorithmes, toutes traversées par des flux prédéterminés mécaniquement qui leur donnent l’apparence de la vie : moteurs trafiqués, eau pompée en boucle, programmes informatiques, affichages numériques défilants…

Léa de Cacqueray, passionnée par l’avenir des nouvelles technologies et l’évolution des intelligences artificielles, s’intéresse aux objets qui créent leur propre énergie, et s’affranchissent peu à peu de l’autorité humaine sans que l’on puisse déterminer si c’est l’inquiétude ou la fascination qui domine. L’ambiguïté demeure, jusque dans les formes qu’elle emploie : ses œuvres oscillent constamment entre la préciosité froide de la machine contemporaine, aux gestes métalliques saccadés et lents, et la possibilité de la fuite, des liquides ou des viscosités diverses, notamment de la résine ou du silicone. L’équilibre nécessaire, dit-elle, pour une certaine douceur.

Texte de Camille Paulhan

The vast and luminous room that hosted Léa de Cacqueray's diploma installation had all the makings of a futuristic cathedral, where celebrants and believers had been replaced by an armada of celibate machines, each officiating in a solitary manner against a background of melodious church choir voices mixed with industrial noises. In the basement, the crypt, the video “The Loss of Senses” introduced this artificial universe where biblical references often mingle with quotations from science fiction novels. The bodies fade away, replaced by robotic sculptures modeled by algorithms, all crossed by mechanically predetermined flows that give them the appearance of life: tampered engines, water pumped in a loop, computer programs, scrolling digital displays...

 

Fascinated by the future of new technologies and the evolution of artificial intelligence, Léa de Cacqueray is interested in objects that create their own energy, and gradually free themselves from human command, letting us ponder if we should be concerned or fascinated. Ambiguity remains, even in the forms she uses: her works constantly oscillate between the cold preciousness of the contemporary machine, with its jerky and slow metallic gestures, and the possibility of an escape, through liquids or various viscosities, including resin and silicone. The necessary balance, she says, to achieve a certain softness.

 

French text by Camille Paulhan

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